rever le plafond. Par définition, le rendement butoir d’une appellation est le niveau de production au-delà duquel les raisins/vins récoltés ne peuvent plus prétendre à l’AOC et partent à la distillerie en tant que Dépassement de Rendement Autorisé (DRA). Mais alors que leur vendange 2022 s’annonce généreuse et que leurs marchés restent tendus après la petite récolte 2021, treize appellations de vins blanc de Bourgogne(AOC régionales Bourgogne, Chablis et Mâcon*) demandent un dépassement inédit du rendement butoir pour bénéficier de volumes additionnels en VCI (Volume Complémentaire Individuel, qui n’est pas AOC mais DRA, jusqu’à sa revendication possible dès le millésime suivant, soit en cas de déficit de production, soit pour un rafraîchissement avec sa substitution par un volume équivalent de vin de l’année). Comme le résume un vigneron de Chablis : « on trouve aberrant de distiller les raisins d’un millésime généreux quand on en manque les années suivantes… »D'où l'idée de constituer une réserve mobilisable en cas de coup dur (gel, grêle, sécheresse…).
Ce 28 juillet, le conseil régional de l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (CRINAO) a étudié ces demandes de dépassement, donnant un accord de principe sans pouvoir les voter. « Le CRINAO ne peut pas se prononcer en dehors du cadre réglementaire (du rendement butoir inscrit dans les cahiers des charges) » explique Stéphane Meunier, le délégué territorial adjoint pour la délégation Centre-Est de l’INAO, précisant que le comité régional est « ouvert sur les demandes au-delà du rendement butoir », ayant voté en mai une demande de modification des cahiers des charges des 13 AOC concernées pour augmenter leur rendement butoir et mettre en réserve le produit des bonnes années. Le comité permanent de l’INAO a depuis nommé une commission enquête, dont les premières réunions se tiennent cet été et avertissent qu’il est matériellement impossible de modifier le moindre rendement butoir d’ici la récolte 2022.
Si la modification des cahiers des charges n’aboutira pas avant la prochaine vendange, la filière bourguignonne espère qu’une dérogation exceptionnelle pourra être prise pour ce millésime 2022. « Nous portons cette demande pour nos vins du socle, AOC Bourgogne régionales, Chablis et Mâcon »indique François Labet, le président du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB). Nationalement, la demande est portée par la Confédération Nationale des producteurs de vins à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), avec la Champagne et la Savoie (voir encadré) précise Marion Saüquere, la directrice de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), qui rappelle le souvenir du millésime 2018 : comptant parmi les rares millésimes où la quantité se disputait à la qualité. Et durant lequel « il était dommage d’envoyer du raisin à la distillerie ».
« Si l’on peut qualitativement parlant faire un bon volume, il faut le mettre à profit » confirme François Labet, rappelant que gérer c’est prévoir. Un usage exceptionnel de volumes additionnels VCI, avant d’espérer les pérenniser, doit permettre de réduire les à-coups de production et de production, sans aller jusqu’à la réserve interprofessionnelle. « L’idée de la réserve est évoquée, mais elle n’est pas aussi avancée que d’autres interprofessions (Alsace, Bordeaux, Pays d’Oc…) » indique François Labet, pour qui la priorité est la validation du dépassement de rendement butoir pour 2022.


Portant à Paris le « dispositif dérogatoire exceptionnel et raisonnable de reconstitution de stocks », Éric Tesson, le directeur de la CNAOC salue « la belle réactivité de l’administration et du ministère sur ce dossier… Une fois la surprise passée ! » La mécanique de mise en œuvre actuellement proposée passe par un décret du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Ayant rencontré ce lundi 25 juillet les représentants de la filière vin, ce dernier aurait indiqué se fier aux expertises techniques de l’INAO (notamment sur la qualité des vins produits au-delà du rendement butoir) et demander des chiffres permettant de justifier ce besoin accru (notamment les statistiques de stock).
« Le décret sera à signer entre maintenant et la fin novembre : le plus vite sera le mieux pour que règles soient claires » analyse Éric Tesson. Avec une nouvelle base réglementaire, les volumes additionnels pourraient être adoptés dans la foulée. « Si le cadre réglementaire évolue, le CRINAO sera reconvoqué en urgence pour en discuter » rapporte Stéphane Meunier. Pour le vignoble, ces délais ne sont pas inquiétants : « le viticulteur peut récolter, garder les volumes en DRA et pourra les basculer sur du VCI si c’est possible, sinon ce sera la distillation » rassure Marion Saüquere. Des négociants souhaiteraient que ces éléments soient connus au moment de la récolte, pour que le cadre soit établi sur les surfaces vendues intégralement aux maisons. Mais dans l’ensemble, les metteurs en marché bourguignons saluent l’initiative de mise en réserve du vignoble.


« C’est louable, l’idée est de créer des réserves pour faire face aux aléas climatiques qui vont se produire plus régulièrement » analyse Jérôme Prince, le président du Syndicat des Courtiers en Vins et Spiritueux de Grande Bourgogne. Ajoutant que « toutes les régions sont partagées entre la volonté de constituer du VCI et de mettre du vin sur le marché pour le détendre. L’idée est de remettre du vin dans les tuyaux. » D’autant plus que les déséquilibres entre offre et demandes pèsent : la grande distribution délistant des références, des AOC régionales perdant en attractivité en Grande Bretagne… Et que la récession se fait sentir sur les ventes aux États-Unis prévient le courtier. « La situation économique mondiale est incertaine » pour François Labet, appelant à lisser l’offre de la production pour répondre sereinement à la demande des marchés.
* : Ces appellations de vins blancs sont Bourgogne (rendement autorisé de 69 hl/ha avec 7 hl/ha de VCI +5 hl/ha de dépassement en VCI), Bourgogne avec dénomination géographique (rendement autorisé de 66 hl/ha avec 7 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI), Coteaux Bourguignon (rendement autorisé de 72 hl/ha avec 7 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI), Bourgogne Hautes Côtes de Beaune et de Nuits (rendement autorisé de 66 hl/ha avec 6 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI), Bourgogne Tonnerre (rendement autorisé de 66 hl/ha avec 4 hl/ha de VCI + 8 hl/ha de dépassement en VCI), Bourgogne Aligoté (rendement autorisé de 72 hl/ha avec 3 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI), Bourgogne Côte d’Or (rendement autorisé de 66 hl/ha avec 7 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI), Chablis (avec un rendement autorisé de 60 hl/ha + 10 hl/ha de VCI et 2 hl/ha de dépassement en VCI), Petit Chablis (rendement autorisé de 60 hl/ha avec 10 hl/ha de VCI + 2 hl/ha de dépassement en VCI), Chablis Premier Cru (rendement autorisé de 58 hl/ha avec 10 hl/ha de VCI + 2 hl/ha de dépassement en VCI), Mâcon (rendement autorisé de 70 hl/ha avec 5 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI), Mâcon Villages (rendement autorisé de 68 hl/ha avec 7 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI) et Mâcon avec nom de commune (rendement autorisé de 66 hl/ha avec 7 hl/ha de VCI + 5 hl/ha de dépassement en VCI). Pour les AOC Bourgogne régional en rouge un VCI est ouvert pour la première fois ce millésime 2022, avec une baisse du rendement autorisé de 2 hl/ha par rapport au plafond pour donner plus d’espace au VCI (en dessous du butoir).
« Nous continuons le travail pour proposer une mise en réserve qui soit un peu plus importante que d’habitude, comme la Bourgogne » indique Maxime Toubart, le président du Syndicat Général des Vignerons de Champagne, prévenant que « rien n’est fait, nous avons espoir que ça aboutisse ». Lors du CRINAO du 28 juillet, la Savoie a demandé pour ses vins blancs un rendement fixé au cahier des charges avec des dépassements de 2 hl/ha le butoir. « Les stocks sont au plus bas » précise Alexis Martinod, le directeur du Syndicat Régional des Vins de Savoie.
Accédez à l’intégralité des articles Vitisphere – La Vigne et suivez les actualités réglementaires et commerciales.
Profitez dès maintenant de notre offre : le premier mois pour seulement 1 € !