Puyloubier, au pied de la montagne Sainte-Victoire, dans les Bouches-du-Rhône, le domaine des Diables s’apprête à sortir sa nouvelle cuvée BDN. « C’est un blanc de noirs, assemblage de grenache et de cinsault, introduit Guillaume Philip. Je n’ai plus de place pour planter alors que nous avons une forte demande de blancs. Avec ce blanc de noirs, je diversifie ma gamme. L’idée m’est venue en observant nos jus d’égouttage. Contrairement à ceux de syrah, les jus des cinsaults et grenache ne sont pas colorés. J’ai donc décidé pour la première fois l’an passé de vinifier un blanc de noirs, en assemblant 6 hl de grenache et 6 hl de cinsault. »


Sur ce domaine de 30 ha, la vendange est mécanique et les parcelles bordent le chai. Une disposition qui permet au vigneron de limiter les trajets et le tassement de la vendange. « Afin de limiter la macération, nous amenons très rapidement les raisins au pressoir, confie Guillaume Phillip. Ensuite, je n’ai récolté que les jus d’égouttage et seulement pendant les cinq minutes suivant le remplissage complet du pressoir. Le cinsault coule un peu plus blanc que le grenache mais pour l’un comme pour l’autre, la fenêtre de tir est très limitée. Dès que le jus se colore, on arrête. »
Après un léger collage à la caséine et à la PVPP, il laisse les moûts stabuler à froid pendant plusieurs semaines avant de les mettre à fermenter dans des demi-muids, où ils sont élevés durant trois mois, dans la foulée. « J’ai fini dans des œufs en béton, car le bois me semblait dissocié du fruit et je voulais apporter un peu de gras. »
Résultat : beaucoup de minéralité et de rondeur pour cette cuvée, qui sera mise en bouteille fin juillet. Cette année, Guillaume Philip va renouveler l’opération, sans doute selon le même protocole. « Je pense qu’il y aurait un véritable intérêt à faire des effervescents dans le futur, songe-t-il. Mais on verra d’abord si cette cuvée BDN fonctionne auprès des clients. »
À la cave des Vignerons d’Aghione, en Corse, la cuvée Casanova « Blanc de noirs » a trouvé sa place depuis 2018. « Nous nous imposons de sortir deux innovations tous les ans, indique Christophe Paitier, directeur de la coopérative. Et si les résultats sont là, nous les gardons dans la gamme. Casanova “Blanc de noirs” est né de cette politique. L’idée de départ était de produire trois couleurs avec un seul cépage : un rouge, un blanc et un rosé. On a expérimenté cela avec le nielluciu qui, selon nous, s’y prêtait bien. Et de s’étonner : Or, seul le blanc de noir a cartonné ! » Si bien que la cave vinifie désormais tous les ans 600 hl de cette cuvée positionnée en Vin de France. « Ce vin est bien implanté en CHR et, dans une moindre proportion, en GD », révèle le directeur.
D’un point de vue technique, les vendanges sont mécaniques et nocturnes. « On récolte de manière assez précoce, explique Christophe Paitier. C’est le pH qui nous fait déclencher les vendanges, entre 3,30 et 3,40, à la maturité d’un rosé. Les jus sortent rosés car le nielluciu est assez coloré, alors on écarte les fins de presse. L’expérience nous a permis de définir un seuil de pression au-delà duquel on arrête. » Généralement pas plus que 0,8 bar, maximum 1 bar, en fonction des millésimes. Au-delà, il s’avère trop compliqué de réduire la couleur. Car pour cela, pas de charbon.
« Durant le débourbage statique à froid, nous pratiquons une hyperoxygénation selon une technique que nous avons développée pendant deux vinifications. Ensuite, on débourbe très serré, à environ 50 NTU. On complémente en azote pendant la fermentation et on colle à la bentonite. Enfin, pour améliorer l’expression aromatique et la rondeur, on laisse 5 à 6 grammes de sucres résiduels. Ainsi on ne s’inquiète pas des fins de fermentations difficiles qui pourraient se produire du fait du débourbage très serré. »
Chez Bordeaux Families, les blancs de noirs ne sont pas non plus des nouveautés. « Nos crémants blancs de noirs sont bien intégrés dans la gamme et c’est cette expérience qui nous a permis d’élaborer une cuvée de vin tranquille – un assemblage de merlot, cabernet franc et malbec – depuis 2021, explique Philippe Cazaux, directeur général de la coopérative. J’y vois un complément de gamme intéressant dans le cadre de la hausse de la demande en blancs. Les gens sont curieux de découvrir que l’on peut faire du vin blanc avec des raisins noirs. Ils ont besoin d’être surpris. »
Pour cette cuvée baptisée Mallette, l’équipe a effectué un gros travail sur la sélection des parcelles, la date de récolte et la gestion des apports. « À la vigne, il faut des parcelles qui présentent de la vigueur et de l’acidité, afin de conserver de la fraîcheur et un bon équilibre, détaille Philippe Cazaux. Les effeuillages ne sont plus systématiques, d’ailleurs, étant donné le réchauffement climatique, on cherche plutôt à les éviter. »
« On ramasse dans une fourchette de pH située entre 3,15 et 3,25, complète Pascal Mondin, directeur technique chez Bordeaux Families. Comme nous vinifions ces raisins en blanc, nous voulons conserver un pH bas à l’issue de la fermentation. »
Pour la coopérative, ces vendanges précoces ont l’avantage d’étaler les apports. « En revanche, il faut que les adhérents soient disponibles. Cette année, nous prévoyons de vendanger le 16 août ! », établit Philippe Cazaux.
Contrairement aux crémants, pour lesquels la vendange est manuelle, la vendange de la cuvée Malette est mécanique. « On ramasse de très bonne heure de sorte que les raisins soient encore frais, détaille Pascal Mondin. On les amène rapidement au pressoir afin d’éviter à tout prix qu’ils macèrent et pour obtenir des jus les plus clairs possibles, avant d’effectuer un débourbage statique à froid jusqu’à obtenir moins de 100 NTU. Ensuite, nous mesurons à l’aide du Polyscan la teneur des moûts en polyphénols car nous avons déterminé des valeurs cibles, que nous atteignons par collage à la protéine de pois et à la bentonite. On utilise très peu de charbon. En fait, nous avons réalisé un gros travail sur le volume et le gras en bouche, plus que sur l’aromatique… et ce n’est pas le plus évident ! »
Après un élevage sur lies légères pendant quelques semaines, les lies sont levées à la dégustation. « Nous commercialisons cette cuvée en Vin de France, ce qui nous autorise également à faire plus de rendement. »
À Caudiès-de-Fenouillèdes, dans les Pyrénées-Orientales, Raphaël Colin, propriétaire du domaine Blanc Plume, s’est installé en 2019. « En 2020, j’ai perdu 40 % de ma production à cause du mildiou, déplore ce vigneron. La syrah a bien tenu et je l’utilisais alors pour faire des rosés. Mais avec la crise Covid, j’ai connu des difficultés pour les vendre. Par la suite, j’ai choisi de développer ma gamme de blancs en utilisant ces parcelles qui donnent des grappes généreuses et peu tanniques, avec des jus peu colorés. » Il indique produire désormais une cuvée d’environ 4 000 bouteilles de blancs de noirs, composée de 60 % syrah et de 40 % sauvignon blanc.
Le viticulteur ne se base pour débuter la vendange que sur la mesure des sucres. Il vise 10 à 10,5° d’alcool potentiel. « On commence très tôt le matin de façon à travailler le plus froid possible, explique-t-il. On récolte en caissettes de 15 kg. J’effectue un pressurage direct peu soutenu. Je dispose d’un pressoir Vaslin : j’arrête le pressurage à la P1 afin de récupérer le jus d’égouttage et la première presse, soit environ 20 % de sa capacité maximale. Après 24 heures de stabulation à froid, j’effectue deux collages, l’un avec de la protéine de pois et l’autre avec du charbon, entre 30 et 50 g/hl, pour faire tomber la couleur. Puis je vinifie en levures indigènes. »
Avec ses quelques reflets « or rose », ce vin bénéficie de l’appellation IGP Côtes Catalanes dont le cahier des charges liste les cépages autorisés, sans préciser pour quelle couleur, autorisant de fait les blancs de noirs. « Je l’ai positionné en entrée de gamme », précise Raphaël Colin, ajoutant que la cuvée a récolté deux étoiles au Guide Hachette en 2022. Comme quoi, les blancs de noirs tranquilles ont de quoi séduire les critiques les plus avertis.
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