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Au fil de la vallée de la Loire, la plupart des appellations participent à un vaste travail de recensement et de définition des terroirs. La reconnaissance de lieux-dits devrait accompagner une montée en gamme et en prix des vins.
Dénominations géographiques complémentaires, appellations communales, crus, clos et lieux-dits, cartographie des terroirs… Depuis une dizaine d’années, tout au long des vignobles de la Loire, un vaste travail est entrepris par les vignerons et les appellations, que ce soit collectivement ou à titre individuel. Chaque vignoble cherche à identifier avec plus de précision les meilleurs terroirs et cela peut aller au sein d’une même parcelle ou d’un clos. Si la plupart de ces terroirs ne sont pas officiellement reconnus, l’Inao regarde d’un œil bienveillant cette évolution, d’autant que le temps de validation des dossiers peut atteindre dix ans, voire plus. Pour les vignerons, outre le fait d’améliorer la qualité, il s’agit avant tout de monter en gamme en espérant mieux valoriser le travail effectué et la meilleure qualité des vins. Une quête d’excellence qui demande temps et patience. Mais n’est-ce pas l’apanage de la viticulture ? Douze vignerons témoignent des efforts fournis.
» À LIRE AUSSI :Belargus : Quand le chenin se met au sec
Muscadet Sèvre et Maine sur lie Château-Thébaud – Domaine de la Chauvinière
Installé dans l’appellation Muscadet Sèvre et Maine, sur la récente dénomination de cru communal Château-Thébaud, Jérémie Huchet travaille depuis plusieurs mois à l’identification des profils de ses sols pour affiner encore plus son approche parcellaire à la vigne et au chai. Grâce au travail d’Emmanuel Bourguignon, fils de Claude et Lydia, il a été conforté dans sa démarche. « Au sein des 11 hectares du clos des Montilles, j’avais déjà identifié quatre parcelles, mais je voulais encore monter en précision », explique le vigneron. Le travail d’Emmanuel Bourguignon a validé ses pratiques techniques et vinicoles sur les petits climats identifiés, par exemple sur des sols d’amphibolites et de gabbro où poussent des vieilles vignes de 1914. « À l’endroit appelé Les Cèdres, où on a trouvé des nodules ferromagnésiens, je vais vinifier le melon de Bourgogne comme un rouge et élever les vins plus longtemps. Quand à la partie appelée La Tâche, au terroir plus argileux, j’avais déjà identifié que les vignes, les pieds au frais et la tête au soleil, donnaient des vins riches, opulents et moins minéraux ». Pas question pour autant de revendiquer pour l’instant des lieux-dits. « Il faut d’abord que les appellations communales, dont Château-Thébaud, soient reconnues », explique Jérémie Huchet.
Savennières Roche aux Moines – Domaine aux Moines
Au sommet de la Roche aux Moines, le domaine de Tessa Laroche se transmet de mère en fille. Sur ses 12 hectares cultivés en biodynamie, le chenin est roi. Et la roche domine, qu’elle soit volcanique, de schistes verts ou bleus. « Quand quelqu’un vient au domaine et n’a jamais goûté nos vins, il peut être surpris par leur côté minéral et leur acidité en fin de bouche, reconnaît Tessa Laroche. Ce sont des vins qui demandent une approche patiente, mais la puissance du terroir s’exprime en bouche ». C’est aussi ce qui plaît aux amateurs avertis, qui retrouvent dans ses vins un côté fruité grâce aux pierres qui redonnent de la chaleur aux raisins au moment des vendanges, même si Tessa Laroche est la première à ramasser sur la Roche aux Moines. « Le terroir caillouteux et le soleil activent la maturité du raisin. À nous de vendanger assez tôt pour garder la fraîcheur », explique Tessa Laroche, qui privilégie de petits rendements. Bien qu’atypiques et revendiqués comme tels, les vins du domaine aux Moines séduisent les amateurs du monde entier, notamment scandinaves. La Norvège est aujourd’hui le premier marché à l’export du domaine, même si la France représente toujours la moitié des ventes, un équilibre que Tessa Laroche entend préserver.
Anjou – Domaine Belargus
À la tête du domaine Belargus depuis 2018, Ivan Massonnat n’arrête pas de multiplier les projets. Le dernier en date : faire reconnaître des appellations de crus sur différents terroirs, notamment les Bonnes-Blanches, à Saint-Lambert-du-Lattay, et Ronceray, sur le tènement de Chaume. « On est à fond dedans parce que c’est une évidence, et les vins de Belargus sont des vins de lieux », insiste Ivan Massonnat. Le projet, qui remonte déjà à une dizaine d’années, est maintenant entré dans une phase opérationnelle, avec l’Inao qui a dépêché une commission pour étudier les premiers dossiers. « Il serait intéressant d’aller vers une hiérarchisation des crus, mais cela prendra du temps. Aujourd’hui, en Anjou, il existe déjà des micro-appellations, mais ce sont des confettis. Grâce à une histoire très ancienne, on revient vers l’ADN de la Loire : rendre leur grandeur à nos vins en mettant en avant terroirs et lieux-dits. Que cela s’appelle cru ou autre, la révolution est en marche. Mais c’est un projet à cent ans». Autre combat d’Ivan Massonnat : assurer l’avenir des liquoreux. « Ce serait un piège de s’enfermer dans les vins secs. Nos beaux terroirs de chenin peuvent s’exprimer à la fois en sec et en liquoreux, mais pas tous les ans. Le désamour des liquoreux est passé, et, aujourd’hui, on n’en a pas assez, même si cela reste un marché de niche».
Château de Plaisance
« Il y a douze ans, quand je suis arrivée dans la région pour mes études, personne ne parlait du chenin et de l’anjou, et surtout personne n’y croyait. Pourtant, j’ai toujours été persuadée qu’il y avait un potentiel de dingue », constate Vanessa Cherruau. Forte de ses convictions, la jeune femme décide de s’installer et visite plusieurs propriétés, dont le château de Plaisance, sur les terroirs de chaume, quarts-de-chaume et savennières. « Non seulement c’était hors budget, mais je ne voulais pas faire de liquoreux », se souvient-elle. Mais Vanessa a un coup de cœur pour le terroir, les vieux chenins et la magie du lieu. Enceinte de sept mois, elle décide de se lancer quand même et achète les 25 hectares en septembre 2019. « J’ai tout de suite été persuadée par le potentiel de ces terroirs exceptionnels qui permettent de produire de grands liquoreux, mais aussi de grands vins secs ». Aujourd’hui, ses vins puissants, texturés et très contemporains se retrouvent sur les plus belles tables et s’exportent dans le monde entier. «Ronceray est un futur cru qui va porter la valorisation de nos terroirs en sec, le véritable ADN de nos chaume et quarts-de-chaume. Mais il reste à obtenir la reconnaissance de l’Inao. J’espère que ce ne sera pas mon projet de retraite », ajoute Vanessa Cherruau.
Saumur-Champigny – Château de Targé
De la terrasse, on aperçoit la Loire, tandis que la falaise surplombe le joli château en tuffeau. Une pierre qui constitue l’essentiel des sols de la propriété, la profondeur des sols faisant la différence. « On constate des différences monstrueuses entre mes différentes parcelles, alors qu’il n’y a que 800 mètres d’écart et que tout est censé être pareil : le sol, le cépage, le millésime et le vigneron », reconnaît Paul Pisani-Ferry. Et il est vrai que ses cuvées ont des styles très différents, qu’il s’agisse du Clos Saint-Père, un rouge léger presque clairet, du Clos du Moulin, très fruité, ou de la cuvée Le Gory, le haut de gamme, plus structuré. « Alors qu’un débat est engagé avec l’Inao pour la reconnaissance de lieux-dits, le gros souci, c’est que des vignerons utilisent des noms de parcelles qu’ils n’ont plus au cadastre, regrette Paul Pisani-Ferry. Moi, je veux pouvoir identifier tel petit bout de parcelle, le notifier. Je veux rendre mes vins plus rares et distinctifs en montrant les différences et les subtilités des terroirs ».
Saumur Puy-Notre-Dame – Domaine Mélaric
C’est sur les bancs de Sup Agro de Montpellier qu’Aymeric Hillaire a rencontré Mélanie, sa future épouse. Après de premières expériences en France et à l’étranger, le jeune couple décide de s’installer dans le Saumurois. Aymeric Hillaire commence par acheter des raisins à droite et à gauche, ce qui lui permet d’identifier les meilleurs terroirs. « On voulait faire du chenin et du cabernet franc sur la craie, et des vignerons du Puy-Notre-Dame nous ont parlé du phénomène de buttes de craie comme celle de Brézé». En 2008, le couple achète 4 hectares sur la fameuse côte des Blancs du Saumurois, juste en face du joli village du Puy-Notre-Dame. Si, aujourd’hui, l’appellation Saumur Puy-Notre-Dame ne concerne que les rouges, le domaine Mélaric (contraction de Mélanie et Aymeric) dispose aussi de vieilles vignes de chenin. Décidés à sortir « la tête des vignes », le couple accueille chaque hiver un troupeau de brebis dans ses vignes cultivés en bio. « Nous sommes dans un milieu passionné, mais un peu fermé, ce qui oblige à se diversifier au niveau intellectuel », ajoute Aymeric Hillaire, qui a créé un lieu de formation pour accompagner ceux qui ont envie de changer de vie et de devenir vigneron. « La transmission nous donne de l’énergie et une douzaine de néo-vignerons se sont installés dans l’appellation, la plupart passés chez nous. Cela crée une émulation très forte », ajoute Mélanie.
Saumur – Domaine Isabelle Suire
Salariée dans l’industrie agro-alimentaire, Isabelle Suire s’ennuyait dans son métier et a décidé de changer de vie. En 2007, elle reprend l’exploitation de ses parents, 17 hectares de chenin et de cabernet franc en AOC Saumur. « Malgré les campagnes d’arrachage des années 1970, nous avons conservé pas mal de chenin. Ça tombe à pic, car la demande est forte, se félicite la jeune femme. Sur ces terroirs argilo-calcaires, on obtient des vins très floraux, à la minéralité intense et à l’acidulé typique ». Même si la production de saumur blanc est encore confidentielle, les amateurs de nouveautés ont bien repéré le potentiel de ces vins. Comme dans d’autres appellations ligériennes, un travail d’identification de potentiels crus est en cours, même sans rien d’officiel pour l’instant. « Il reste encore beaucoup de travail pour les mettre en évidence et les décrire, reconnaît Isabelle Suire. Les Bourguignons ont fait un superbe travail sur les crus. On en est encore loin, alors qu’on peut se le permettre : certains crus de saumur blanc n’ont pas à rougir face à de grands crus de Bourgogne ».
Saint-Nicolas-de-Bourgueil – Clos des Quarterons
À la frontière de l’Anjou, à l’extrême ouest de la Touraine, Saint-Nicolas-de-Bourgueil est la seule appellation ligérienne à être sur un village unique. « Je suis un grand défenseur des terroirs et en monocépage. Quoi de mieux que de faire chanter le sol ? déclare Xavier Amirault, qui a fait faire une étude de terroirs à son arrivée en 2011 au clos des Quarteron, berceau familial. Cela m’a permis d’identifier douze unités de terroir avec cinq sols très différents et tous les intermédiaires». Ainsi, sur la trentaine d’hectares de la propriété, Xavier Amirault a repéré 58 parcelles qu’il vendange en parcellaire, en fonction du type de terroir et de l’âge des vignes, de 5 à 93 ans. « Chaque parcelle est vinifiée et élevée séparément. Pendant dix-huit mois, on déguste nos cabernets francs à l’aveugle avant de décider des assemblages pour élaborer nos six cuvées. Cela laisse beaucoup de possibilités, comme un chef en cuisine », reconnaît Xavier Amirault.
Chinon – Domaine Bernard Baudry
Depuis 1975, les Baudry produisent des chinons sur les 32 hectares du domaine familial. « Le parcellaire est très réparti, éclaté sur des unités de terroirs très variés, précise Matthieu Baudry. Je ne parle pas que de géologie, mais aussi d’exposition, de microclimat, d’environnement paysagé». Une diversité qui permet au jeune homme de produire neuf cuvées. « Au lieu de faire de la tambouille, j’utilise le nom des lieux-dits pour les identifier. Je comprends que ça n’intéresse pas le consommateur lambda qui veut retrouver toujours le même chinon, mais, heureusement, de plus en plus de clients veulent aller plus loin : le chinon de gravier pour son fruit, de coteau pour sa matière… » Si Matthieu Baudry admet qu’un vin sur calcaire puisse avoir une certaine salinité, il reconnaît aussi une part de magie dans le mariage entre la vigne et l’endroit. Également président de l’appellation Chinon, Matthieu Baudry a initié un groupe de travail afin d’identifier des lieux-dits originaux et singuliers, si possible partagés par au moins deux vignerons. « Sur les 25 communes de l’appellation, cinq sont officiellement enregistrés et cinq autres en cours d’identification, précise-t-il. Il ne s’agit pas de créer une hiérarchie, mais de parler des lieux». Reste maintenant à communiquer sur ces lieux-dits.
Touraine Amboise – Domaine Xavier Frissant
En 2025, l’appellation Touraine Amboise va changer de nom pour devenir juste Amboise. Une reconnaissance du travail mené depuis des années par les vignerons de la petite appellation de Touraine où le côt est roi. Ce très ancien cépage rouge, connu sous le nom de malbec à Bordeaux ou d’auxerrois à Cahors, a trouvé ici un terroir de prédilection. « Les vignerons ont dû apprendre à le vinifier, car il est très tannique et impose d’être vigilant aussi bien au vignoble qu’en cave pour ne pas avoir de tanins durs, comme il y a quinze ans, reconnaît Xavier Frissant. C’est un sacré challenge, mais cela permet d’obtenir des vins aux arômes de fruits noirs si on a la bonne maturité sur des sélections massages ». Loin des banales cuvées « François Ier », qui tiennent plus du produit dérivé, Xavier Frissant a fait le choix de s’approprier les terroirs pour personnaliser ses vins. « Chaque vigneron d’Amboise travaille sur ses propres lieux-dits cadastraux. Par exemple, nous avonsChenin des Pierres, L’Orée des Frênes en vieilles vignes de côt, etc., et toute notre gamme est basée sur le principe de la vinification par terroirs, presque à la bourguignonne». Cette reconnaissance des lieux-dits et un coût du foncier encore abordable attirent de nouveaux vignerons. « En deux ans, l’appellation a vu trois installations, et deux jeunes cherchent à s’installer », se félicite Xavier Frissant. Seul point noir, le manque d’installations de vinification dans des domaines à céder qui étaient coopérateurs. « D’ici cinq ans, nous voulons créer un chai collectif pour attirer des néo-vignerons ».
Touraine Chenonceaux – Domaine des Echardières
C’est au zoo de Beauval que l’appellation Touraine Chenonceaux a fêté ses 10 ans en 2021. Normal, pour un vignoble qui s’étend le long de la vallée du Cher, de Chenonceaux à Beauval, justement. Luc Poullain ne manque pas d’ambition pour l’appellation qu’il préside : « Dans les années 1970, Sancerre a démarré, et, aujourd’hui, c’est l’appellation la mieux valorisée du Val de Loire. On doit pouvoir y arriver avec Chenonceaux d’ici vingt ans, car nous avons le potentiel, la qualité et une offre œnotouristique incroyable». Depuis sa création, l’appellation enregistre des ventes au hausse de 20 % par an et ses blancs ont été largement récompensés au dernier concours du meilleur sauvignon du monde. Sur les 1 124 échantillons de 23 pays présentés, les touraine-chenonceaux ont reçu 5 médailles d’or, et surtout le titre convoité de meilleur sauvignon du concours. « Aujourd’hui, nous réfléchissons à nous affranchir de l’appellation Touraine, comme Bourgueil ou Cheverny, explique Luc Poullain. Au départ, nous étions 12 vignerons, c’était facile d’avancer avec une structure légère. Avec 60 vignerons, c’est plus lourd. Il faut digérer notre croissance. C’est la nouvelle génération qui tranchera ».
Touraine Oisly – Domaine Delobel
Bien loin de son Pas-de-Calais de naissance, Benjamin Delobel est aujourd’hui à la tête de 13 hectares, dont 11 hectares de sauvignon, sur l’appellation Touraine Oisly. « J’ai toujours adoré ce terroir qui donne des vins frais, fruités et minéraux », explique le jeune homme, dont la cuvée B de Oisly a été reconnue meilleur sauvignon bio du monde en 2019. Depuis deux ans, avec l’appellation, il mène un travail de définition de lieux-dits. « C’est un travail de vigneron, d’aller encore plus loin dans la définition des terroirs et le zonage de l’appellation », insiste Benjamin Delobel. Quelques premières cuvées ont d’ores et déjà été validées pour la vendange 2020. « L’idée est de monter en gamme et aussi en prix, reconnaît Benjamin Delobel. Les vignerons sont confiants car nous avons une très belle pépite qui nous permet de nous distinguer de l’appellation Touraine, qui est très grande ».
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Vins de Loire : des vignerons au plus près des terroirs
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