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Le Bordelais est terre de rouge : 85 % de la production en 2022, contre 8 % pour les blancs secs (1). Mais c’est loin d’avoir toujours été le cas. « Jusqu’aux années 1970, mon père, alors coopérateur, produisait majoritairement du blanc, sucré, qui partait en Allemagne par wagons entiers », se souvient Antoine Le Grix de la Salle, 73 ans, au château Le Grand Verdus, à Sadirac en Gironde.
Nous sommes ici dans la région de l’Entre-deux-Mers (entre Dordogne et Garonne), là où sont produits l’essentiel des blancs du département. « En sortant de la coopérative, au début des années 1980, nous avons pris un virage : arracher de blanc pour planter du rouge. Notre développement s’est fait avec cette couleur, en France et à l’exportation », complète le vigneron. En 2009, alors que Le Grand Verdus atteignait 80 hectares de vigne, il n’y avait plus un cep de blanc.
C’est en rentrant de Nouvelle-Zélande, pays où le sauvignon blanc est roi, que Thomas Le Grix de la Salle a soufflé à son père l’idée d’en planter pour compléter la gamme. Viennent rapidement les premières parcelles, puis le mouvement s’amplifie. La propriété compte à ce jour 26 hectares de blanc sur un total de 120 exploités.
« Le blanc de Bordeaux gagne en qualité et en notoriété, complète Édouard, autre fils d’Antoine Le Grix de la Salle, qui a rejoint l’exploitation familiale. Il se fait sa place et attire du monde [Le Médoc demande par exemple la création d’une AOC pour ses blancs, NDLR]. Ce sont six références sur 16 chez nous et 150 000 bouteilles vendues, pour les deux tiers à l’export. » Le Grand Verdus blanc (AOC bordeaux, en majorité sauvignon), la référence maison, est à 8,50 € la bouteille ; et la propriété propose également trois cuvées 100 % sémillon, une originalité dans la région (2).
Alors que jadis on arrachait du blanc en Gironde pour planter du rouge, c’est aujourd’hui l’inverse. D’autant que le rouge est en souffrance. « Les jeunes aiment moins les vins tanniques, le blanc se prête mieux à l’apéritif, les Français mangent moins de viande et les périodes chaudes – où les vins frais et désaltérants sont privilégiés – sont plus nombreuses », synthétise Thomas Le Grix de la Salle.
Il va donc plus loin en plantant 2 hectares de chenin (cépage phare du Val-de-Loire) et 1,5 de colombard, et ce pour son apport aromatique dans un assemblage. « Arriver chez un caviste avec de telles nouveautés est toujours un plus. » Sont également à venir un vin orangeet un liquoreux.
Bien sûr, la famille reste prudente et les décisions mûrissent : on plante une vigne pour trente à quarante ans et cela coûte cher : autour de 20 000 euros par hectare (l’Union européenne peut verser des aides). Mais chacun peut aussi surgreffer, c’est-à-dire mettre un greffon de raisin blanc sur un cep de rouge déjà existant, ce qui permettra d’avoir une récolte dès l’année suivante. Alors qu’une plantation nouvelle demandera un repos du sol (après arrachage), puis trois ans de récolte minimum avant de prétendre à l’AOC ; d’où une attente de cinq à six ans.
« Avec les blancs, l’argent rentre plus vite : on les écoule dans l’année suivant la récolte alors que c’est plus long pour les rouges, qui nécessitent un élevage », tient à préciser Antoine Le Grix de la Salle. À l’inverse, si le blanc ne se vend pas bien, il se détériorera rapidement (comme un rosé). Alors qu’un rouge pourra mieux attendre des jours meilleurs.
(1) Les rosés (4 %), crémants (2 %) et blancs doux (1 %) complètent la production.
(2) La région compte également l’AOC Entre-deux-Mers (100 % blanche) revendiquée sur une petite surface (2 000 ha).
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